AURA AERO : la start-up française qui veut devenir le Tesla de l’avion zéro carbone

6 octobre 2022

Journaliste : Frédéric Filloux – L’EXPRESS – Rubrique : Climat et transitions
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/environnement/aura-aero-la-start-up-francaise-qui-veut-devenir-le-tesla-de-l-avion-zero-carbone_2180937.html

Voyage chez le Tesla de l’avion zéro carbone

A Toulouse, une start-up développe un avion de transport régional électrique d’une vingtaine de places qui devrait voler en 2024.
Dans l’industrie aéronautique, rien ne remplace l’essai en vol. On a beau avoir perfectionné les simulations, être capable de tout tester, le moment ultime reste celui du test réel.
Au matin du 12 avril, les deux pilotes prennent place à bord de l’Integral R, le tout premier prototype de l’entreprise toulousaine Aura Aero : Simon de la Bretèche, 40 ans, un ingénieur d’essais en vol, ancien de chez Airbus, et Baptiste Vignes, 37 ans, instructeur de voltige. L’avion est un biplace d’entraînement et d’acrobatie. Bien qu’équipé d’un moteur à pistons classique, sa conception préfigure le premier modèle électrique de la start-up, l’ Integral E.
Aucun vol d’essai n’est routinier. Celui-ci est l’un des derniers avant la certification de l’avion. Il est destiné à pousser le prototype à ses limites ultimes. Dix-sept minutes après le décollage, alors qu’il survole l’Ariège, l’ Integral R pique vers le sol. Volant trop bas, le parachute du prototype n’a pas le temps de se déployer et les deux pilotes sont tués sur le coup. Les causes de l’accident ne sont pas connues, le Bureau Enquêtes Analyses rendra son rapport dans plusieurs mois.
Moins de trois mois après l’accident, l’émotion est encore palpable chez Aura Aero.
« D’une certaine manière, c’est un acte fondateur pour la société, le genre qui, s’il ne tue pas l’entreprise, la renforce. Il faut continuer », souffle Jérémy Caussade, PDG et cofondateur d’Aura.
En lisière des pistes de l’aéroport de Toulouse Francazal, les lieux fleurent bon l’aviation pionnière. Les bureaux sont installés dans la tour de contrôle et la partie technique dans un hangar d’avions, divisé en ateliers pour chaque métier.
Dans l’un on travaille le bois qui, combiné à de la fibre de carbone, formera une partie de la structure interne de l’Integral E.
Au fond du hangar se trouve un grand autoclave servant à « cuire » les éléments en carbone. Ailleurs, des techniciens peaufinent le système électrique de la version commerciale du biplace. Ce sont des passionnés, intarissables sur leur travail.

Sur le papier, Aura Aero est vouée à devenir une société américaine. Par nécessité

« Pour devenir constructeur aéronautique, il faut pouvoir justifier de moyens de production adaptés, de la compétence des équipes, de processus éprouvés pour développer des appareils certifiés », insiste Jérémy Caussade. C’est l’EASA, l’Agence européenne pour la sécurité aérienne qui valide la démarche. « Et nous évoluons dans le secteur le plus réglementé qui soit ».
L’avion de voltige Integral E, même vendu à des centaines d’exemplaires, n’est que le précurseur de l’appareil de 19 places, l’ ERA [NDLR : Electrical Regional Aircraft], destiné au transport de passagers ou de fret pour des liaisons régionales.
Avec ses grandes ailes de planeur équipées de six petits moteurs et son allure élancée, l’ ERA ne ressemble à rien de connu. L’avionneur toulousain est parti d’une page blanche et ses choix diffèrent de ceux du secteur, qui parie plutôt sur le VTOL, les appareils à décollage et atterrissage vertical. Ces engins ressemblent à des gros drones multimoteur capables d’emporter quatre personnes de façon autonome dans des zones urbaines. Selon le cabinet Precedence Research, le VTOL représente l’essentiel du marché de l’aviation électrique estimé à 40 milliards de dollars en 2030.
En France, les projets d’aéronefs électriques de petite taille se nomment Ascendance Flight Technologies, ou encore Voltaro.
Aura Aero ne croit que moyennement au VTOL et table plutôt sur l’avion classique, mais dont la conception a été revue de fond en comble. Un moteur électrique n’a pas de ratés, il est silencieux, peut délivrer toute sa puissance en un instant, ne chauffe pas, et son entretien est insignifiant par rapport à un turbopropulseur.
Celui d’Aura Aero sera fourni par Safran, le géant français de la propulsion aérienne qui vient d’inaugurer un nouveau centre de recherche à Créteil (Val-de-Marne) où il développe une gamme de moteurs électriques.
« Les gains de l’électrification de l’aéronautique sont innombrables, résume Stéphane Cueille, président de la branche électrique de Safran. Pour l’instant, le seuil de l’électrification se limite à des avions d’une vingtaine de places. Au-delà, le poids des batteries devient un facteur limitant. »
Safran investit malgré tout énormément sur ce segment qu’il domine déjà : ses moteurs électriques EngineUS sont en passe d’être certifiés et intéressent nombre de ses clients.

L’autre grande innovation d’Aura Aero porte sur la gestion des données avec un modèle en ligne de mire, Tesla.
« Chez le leader du véhicule électrique, chaque kilomètre parcouru par ses voitures améliore les performances et la sécurité de l’ensemble. C’est exactement ce que nous allons faire pour l’aviation », explique Jérémy Caussade.
Pour cela, les centaines de capteurs embarqués sur l’ERA produiront en continu des téraoctets de données.
Les flottes seront suivies en temps réel afin de faire de la maintenance prédictive (ce que font déjà les Boeing ou Airbus) ou d’effectuer à distance des mises à jour des différents logiciels de l’avion.
Cela suppose un centre de contrôle opéré en permanence, de l’intelligence artificielle pour interpréter ces monceaux de données, « et un niveau de sécurisation jamais vu dans l’aviation civile, car un avion n’est pas une Tesla », remarque un ingénieur aéronautique. Aura travaille déjà avec Palantir, la société américaine spécialisée dans la gestion des données industrielles – un des conseillers d’Aura n’est autre que Marc Fontaine qui a conduit la transformation numérique d’Airbus, largement fondée sur les logiciels de Palantir.
Pour ses fondateurs et ses financiers, Aura Aero bénéfice d’une série de facteurs favorables : la pression pour une décarbonation de l’aviation s’accroît partout dans le monde. Dans certains pays comme les Etats-Unis, les courtes distances, de l’ordre de quelques centaines de kilomètres, sont un segment en croissance. « C’est un formidable marché pour nous », explique Jérémy Caussade, qui a développé des contacts avec des géants du fret comme Amazon, FedEx, UPS, en plus des compagnies classiques ailleurs dans le monde. Les lettres d’intention concernent des centaines d’exemplaires de l’ERA .
Sur le papier, Aura Aero est vouée à devenir une société américaine. Non par intention ou idéologie, ses fondateurs étant fermement attachés à la France et à Toulouse, mais par nécessité.
Aujourd’hui, l’entreprise a levé 15millions d’euros, avec comme investisseur principal le fonds Innovacom.
D’ici la certification commerciale de son avion commercial en 2027,elle aura dépensé entre 700 millions et 1milliard d’€. Les revenus de l’avion d’entraînement Integral ne couvriront qu’une fraction des besoins. Il faut donc prévoir une série de levées complémentaires. Celle en cours est de l’ordre de 50 millions.
Pour la suite, Aura va se cogner au plafond de verre du capital-risque français, qui finance très mal les phases de croissance pour les technologies de rupture. Les fonds français préfèrent les paris type Sorare (cartes de sports virtuelles en support NFT, 680 millions d’euros levés en 2021),ou Back Market (articles reconditionnés, 450 millions d’euros de financement).
La survie de l’avionneur toulousain passe par des« tickets » à trois chiffres dans les années qui viennent. Aura Aero sait qu’il n’aura aucune difficulté à lever ce dont il a besoin… mais aux Etats-Unis. Un grand fonds de capital investissement américain est prêt à faire un chèque de 200 millions de dollars à Aura Aero. Leurs analystes estiment que la conjoncture est favorable : l’obsolescence prochaine des appareils de transport régional combinée aux énormes besoins de l’industrie du fret.
Le 23 septembre, lors d’une visite sur le site de Safran, L’Express a interrogé le ministre des Transports Clément Beaune sur le risque de voir Aura Aero quitter la France : « Dans un certain nombre d’entreprises dites stratégiques, on doit avoir des outils qui nous permettent d’intervenir. La meilleure réponse est d’avoir une politique économique qui encourage l’investissement et le capital. Si on n’encourage pas ces investissements, on fait fausse route. »
Parole de ministre, Aura Aero restera français.

à propos de Aura Aéro

Créé en 2018, AURA AERO est le premier constructeur aéronautique digital et éco-efficient, né de la volonté de trois ingénieurs aéronautiques de combiner le meilleur de l’industrie aéronautique et du digital afin de concevoir, fabriquer et opérer des avions présentant une efficacité inégalée, sur le marché grandissant des véhicules éco-efficients et à faible émission de carbone.
Passionnés d’aéronautique et cumulant une expérience de plus de 40 ans dans le développement, la production, la commercialisation et le suivi en service d’avions, allant du monoplace au quadrimoteur long-courrier, Jérémy Caussade, Wilfried Dufaud et Fabien Raison avaient pour objectif de développer un avion biplace nouvelle génération 100% français.
Les valeurs fondamentales d’AURA AERO se retrouvent dans la transmission du savoir-faire aéronautique français, l’excellence opérationnelle et la prise en compte des enjeux environnementaux modernes. Déclinée en deux modèles, la gamme AURA AERO est disponible en version clé-en-main. Basée à Toulouse-Francazal, AURA AERO emploie une quarantaine de personnes.

mots clés