Les grandes entreprises françaises ne rachètent pas assez de startups. Elles pourraient contribuer au cercle vertueux qui est en train de se créer dans notre pays en devenant les principales bénéficiaires des innovations que les entrepreneurs portent sur le marché.
« Quelqu’un, quelque part, est en train de développer un produit qui rend le vôtre obsolète. » écrivait Georges Doriot, le Français qui a inventé le capital innovation aux Etats-Unis dans les années 1950. C’est encore plus vrai aujourd’hui : loi de Moore, mondialisation, internet obligent.
De fait, presque toutes les innovations majeures, c’est-à-dire celles qui modifient radicalement notre façon de vivre ou de travailler, sont actuellement le fait de startups. Ces jeunes entreprises peuvent se consacrer aux produits ou aux services qu’elles développent sans craindre de cannibaliser un produit ou service existant, avec des équipes dont les intérêts sont parfaitement alignés, selon des processus agiles. Surtout, elles adressent des marchés qui sont, au départ, des niches que les grandes entreprises ne voient même pas.
Les ressources financières dont elles ont besoin ne proviennent pas de bénéfices passés ni d’une capacité d’autofinancement mais elles sont de plus en plus disponibles auprès des fonds de capital innovation. Ce qui a été vrai aux Etats-Unis depuis des décennies se vérifie de plus en plus en France : les entrepreneurs ont les moyens de leurs ambitions. Ils peuvent sortir des innovations techniques de leurs laboratoires et concrétiser les innovations marketing dont ils ont eu l’idée.
Un réel engouement existe dans notre pays : une culture de l’ingénieur, une prise de conscience généralisée, une envie d’entreprendre, des aides publiques, des afflux de capitaux privés. Il se crée logiquement de nombreux projets mais il leur manque un élément essentiel : la perspective à moyen/long terme. Les startups ainsi créées ne s’introduiront que marginalement en bourse, elles ne trouveront que difficilement des fonds capables de les soutenir au rythme auquel les fonds américains ou chinois soutiennent leurs propres startups.
Elles sont donc vouées à l’échec si elles n’ont pas la possibilité de s’adosser à des entreprises plus grosses qui pourront, en les intégrant, continuer de porter leurs offres et accélérer encore leurs développements. Moins d’un quart des startups françaises sont rachetées par un corporate, c’est trop peu. Dans la moitié des cas, celui-ci est français, c’est aussi trop peu.
En effet, les entreprises françaises pourraient bénéficier plus des produits ou des services innovants mis au point par des startups ainsi que des marchés qu’elles ont conquis. Elles ont toutes plus ou moins pris conscience des enjeux et développent différents types de relations. Beaucoup ont des programmes de partenariat, certaines ont mis en place des fonds d’investissement, la plupart ont des relations commerciales avec des startups.
Les relations ainsi créées sont évidemment essentielles pour une entreprise bien établie qui lui permettent de se projeter dans l’avenir. Connaissant la place qu’elle occupe actuellement et ses propres capacités de développement, elle peut comprendre précisément ce dont seront capables ses concurrents futurs. Si elle veut aller vite et les devancer, elle doit aller plus loin et envisager sérieusement des acquisitions de jeunes entreprises innovantes.
Trois types d’acteurs jouent un rôle dans le processus d’acquisition d’une startup par une grande entreprise.
Il y a d’abord les startups elles-mêmes. Les entrepreneurs français sont dans un environnement peu favorable à leur sortie avec généralement peu de cash-out et une fiscalité qui n’a pas toujours été lisible. Une certaine aversion au risque et une volonté de garder un contrôle de façade sur leur société dans les phases de développement les empêchent souvent d’aller chercher la meilleure croissance possible – synonyme de dilution. Un manque de mobilité géographique, une méconnaissance de l’international, une difficulté intrinsèque à adresser les marchés les plus porteurs (Amérique, Asie) freinent également leur déploiement. Les entrepreneurs français sont peut-être aussi moins proches du tissu industriel établi comme peuvent l’être les Allemands par exemple. Inconsciemment, leurs fondateurs rendent leurs startups peu attractives pour un acquéreur.
Il y a aussi les fonds d’investissement. Les gestionnaires manquent souvent des moyens financiers capables de soutenir des fortes croissances de leurs participations en particulier s’il faut aller à l’international avec des fonds trop petits. Ils peuvent aussi être en retrait dans l’accompagnement opérationnel des entrepreneurs quand ils manquent eux-mêmes de moyens propres pour exercer leur activité. Ils ont souvent une réticence à faire évoluer le management des sociétés dans lesquelles ils ont investi quand celui-ci atteint ses limites.
Il y a ensuite les acquéreurs industriels. Les grandes entreprises françaises n’ont souvent pas réellement pris la mesure du phénomène startup. C’est peut-être une question de génération avec des dirigeants n’ayant que rarement une expérience pratique de la startup. Leurs entreprises ne regardent pas assez l’actif technologique, les synergies, le potentiel de croissance : elles restent sur des critères anciens tels que les chiffres d’affaires, rentabilités, parts de marché. Le syndrome du « not invented here » est très fort : « pourquoi acheter quelque chose que je paye déjà mes équipes à réaliser ? » Quand bien même auraient-elles de l’intérêt, elles valorisent souvent mal leurs cibles et se font damer le pion par des entreprises étrangères plus aguerries ou plus riches qui sont prêtes à aller plus vite ou à payer plus cher… Enfin, si acquisition il y a, les difficultés d’intégration sont réelles. L’anticipation de telles difficultés peut faire renoncer a priori à franchir le pas.
Enfin, il y a un double sujet lié à notre écosystème. C’est d’une part celui de l’adéquation entre les sujets développés par les startups qui trouvent du financement mais qui ne correspondent pas aux attentes des industriels français. Quand beaucoup de startups traitent du numérique, il y a fort à parier que ce sont des grands du numérique qui voudront les racheter, ce ne sont pas des entreprises françaises. C’est d’autre part celui des montants investis. Plus les startups auront récolté des fonds, plus elles auront grossi. Cela orientera les trajectoires de consolidation vers des groupes ayant des moyens importants.
Les acteurs identifiés plus haut (entrepreneurs, investisseurs, industriels) doivent effectuer un travail en commun pour aligner leurs intérêts dans un écosystème équilibré.
Les blocages identifiés ci-dessus devraient être faciles à corriger dans une économie qui retrouve des couleurs. Toutes les parties prenantes ont un bout du travail à faire pour que l’écosystème devienne réellement vertueux. Ce travail doit être équilibré. Il ne sert à rien de financer beaucoup de projets en amont s’ils ne trouvent pas de débouchés en aval.
Les entrepreneurs sont de retour en France. Les acteurs du capital innovation sont capables de les accompagner. Il faut que les grandes entreprises entrent définitivement dans le jeu.