4 mars 2024
Les Echos, Publié le 4 mars 2024
Malgré leurs talents, les jeunes pousses de l’aéronautique française n’échappent pas à la « vallée de la mort » des start-up tricolores et peinent à trouver les fonds privés nécessaires pour passer à l’industrialisation. Le président d’Innovacom, l’un des rares fonds investi dans la nouvelle aéronautique, explique pourquoi.
La semaine dernière fut riche en bonnes nouvelles pour les jeunes pousses de l’aéronautique française.
Lundi, Beyond Aero annonçait le premier vol d’un avion à hydrogène dans le ciel français .
Mardi, Elixir Aircraft finalisait une levée de fonds de 13 millions d’euros, bouclant ainsi le financement de la phase d’industrialisation de son petit avion d’aéroclub en composite.
Et mercredi, Aura Aero était en vedette au Forum France-Qatar, avec un projet d’avion régional décarboné dont une partie pourrait être fabriquée et financée à Doha.
De quoi être optimiste sur les chances qu’ont ces jeunes entreprises de se faire une place sur le marché mondial de l’aviation civile à la faveur de la décarbonation du secteur.
Pourtant, si l’argent public ne manque pas pour financer les projets innovants dans leur phase initiale, ces jeunes pousses françaises ont en commun d’avoir le plus grand mal à dénicher les investisseurs privés de long terme nécessaires pour traverser la « vallée de la mort » entre la phase de conception du projet à celle de son industrialisation.
La frilosité des investisseurs et des banques
« Nous n’avons pas beaucoup de concurrents dans ce domaine », reconnaît Jérôme Faul, président du fonds d’investissement Innovacom, qui a investi dans plusieurs jeunes espoirs de l’aéronautique française, dont Aura Aero et Elixir Aircraft .
« Les investisseurs privés sont davantage portés sur les logiciels et les services, dont la croissance du chiffre d’affaires est plus régulière, que sur l’industrie, qui nécessite du temps pour mettre en place l’outil industriel avant de voir le chiffre d’affaires décoller, explique-t-il. Quant à l’introduction en Bourse, il n’y a pas assez de volume ni de liquidité à Paris. Il faut aller aux Etats-Unis. »
A l’impatience des investisseurs privés s’ajoute la frilosité des banques françaises, souvent accusées de ne pas suffisamment soutenir les projets industriels.
« Pour obtenir un euro de financement privé sur un projet, les fondateurs doivent investir au moins autant, généralement par de l’endettement. Et pour bénéficier d’euro de subvention publique, il faut trouver au moins un euro de financement privé. Mais même à ce stade, les banques sont réticentes à s’engager avec le patron de l’une de ces startup industrielles » poursuit Jérôme Faul.
Sur le modèle de la santé et des biotechs
Pour ce dernier, le vent d’innovation qui souffle sur l’aéronautique française ne manque pourtant pas d’attrait pour des investisseurs.
« On peut faire un parallèle avec ce qui s’est passé dans la santé avec les biotechs, où les grandes entreprises ont sous-traité l’innovation aux start-up, pour les racheter par la suite, elles ou leurs brevets, explique-t-il. C’est aussi ce qui s’est produit dans l’automobile, dans le spatial et la finance. Et nous sommes convaincus que ce modèle s’applique à l’aéronautique. »
A cela s’ajoute un terreau aéronautique particulièrement riche en France.
« Autant investir dans les domaines où la France a des compétences reconnues », souligne le président d’Innovacom.
Ce qui ne dispense pas de choisir les bons créneaux, ceux sur lesquels des nouveaux venus disposant de moyens limités peuvent espérer porter l’innovation.
Le marché porteur de l’aviation légère
Pour Innovacom, le segment de marché le plus porteur est celui de la petite aviation légère.
Sur les quelque 4.000 avions privés qui se sont vendus l’an dernier à travers le monde, 3.000 sont des avions légers, en hausse de 12 % sur un an, souligne Jérôme Faul.
« C’est un marché dynamique, avec une flotte ancienne d’avions conçus dans les années 1960 qu’il va falloir remplacer par des avions modernes, consommant moins de carburants et moins polluants. »
C’est justement sur ce créneau des avions d’aéroclub que se sont lancés Elixir Aircraft et Aura Aero.
« C’est le marché sur lequel les start-up peuvent se lancer, avec leurs innovations, poursuit le président d’Innovacom. Pour les plus petits avions, il peut s’agir de solution 100 % électrique. Pour les plus gros, comme le projet de 19 places d’Aura Aero, il faut associer l’électrique à un moteur thermique fonctionnant aux carburants d’aviation durable. En revanche, la pile à hydrogène ne nous semble pas envisageable avant de nombreuses années. C’est notre conviction. »
Bruno Trévidic
Bruno Trévidic – Les Echos
Publié le 4 mars 2024